À propos des résultats des élections législatives de 2024

Le second tour des élections législatives de 2024 a permis de confirmer que le barrage à l'extrême droite fonctionne encore très bien dans des élections à scrutin majoritaire à deux tours lorsqu'il est bien suivi par les partis et les candidat·es. Cependant, il faut bien garder à l'esprit que le résultat aurait été différent si les député·es étaient élu·es au scrutin proportionnel de liste (comme c'est notamment le cas pour les élections européennes en France).

Il faut également comprendre le fonctionnement des élections législatives et ce qu'impliquent les résultats de ces dernières élections, notamment sur les dangers que pauseront ces résultats à la gauche française.

Le Rassemblement national, premier parti de France

À l'échelle nationale, le Rassemblement National (RN) a obtenu le plus de voix avec 32,05 % des suffrages exprimés, mais n'a remporté que 17,6 % des sièges restants au second tour1. Voici la répartition des suffrages et des sièges pour les principaux partis :

Parti ou coalition Nombre de voix au second tour % des suffrages exprimés au second tour Sièges remportés au second tour % des sièges restants au second tour remportés Rappel des sièges remportés au premier tour
RN2 8 745 076 32,05 % 88 17,6 % 37
NFP3 7 005 503 25,68 % 146 29,1 % 32
Ensemble4 6 314 523 23,15 % 148 29,5 % 2
LR 1 474 722 5,41 % 38 7,60 % 1
LR-RN 1 364 946 5,00 % 16 3,19 % 1

Pourquoi le RN est devant en terme de voix mais troisième en terme de sièges ?

Nous savons que les circonscriptions où le RN faisait déjà de bons scores en a fait des encore meilleurs à ces élections. Cela explique partiellement le fait que le RN soit troisième en terme de sièges alors qu'il est le parti qui a récolté le plus de voix au second tour. Mais ce phénomène s'explique surtout par le fait que le RN a été le parti avec le plus grand nombre de candidat·es qualifié·es pour le second tour. Voici le nombre de candidat·es qualifié·es au second tour pour les quatre premiers partis (ou coalitions), ainsi que leur nombre de candidat·es élu·es et leur taux de victoire au second tour1 :

Parti ou coalition Candidat·es qualifié·es Candidat·es élu·es Taux de victoire
RN (dont LR-RN) 441 (386 RN et 52 LR-RN) 104 (88 RN et 16 LR-RN) 23,6 %
NFP 281 146 52,0 %
Ensemble 218 148 67,9 %
LR 52 38 73,1 %

Un parti ou une coalition qui n'est pas présente au second tour (que ce soit par des éliminations au premier tour ou des désistements entre les deux tours) ne peut donc pas avoir de suffrages exprimés en sa faveur.

Bien sûr, ce taux de victoire très bas pour le RN s'explique principalement par les désistements des candidat·es NFP ou Ensemble les moins bien placé·es pour battre le RN au second tour. Le RN (dont LR-RN) était en tête au premier tour dans 258 circonscriptions. Au final, ces candidat·es ont été battu·es dans 154 d’entre elles. 70,8 % (109) de ces défaites ont eu lieu dans des circonscriptions où il y a eu un désistement entre les deux tours. A l'inverse, le RN a gagné 10 circonscriptions sur les 11 où des triangulaires ont été maintenues5.

Ce que cela aurait donné avec un scrutin proportionnel

Avec un scrutin proportionnel, voici ce que cela aurait donné pour le RN, le NFP, Ensemble, LR et LR-RN :

Parti ou coalition % des suffrages exprimés au premier tour Sièges qui auraient été remportés avec un scrutin proportionnel Sièges effectivement remportés avec les règles en vigueur Différences (scrutin proportionnel - scrutin majoritaire)
RN 29,26 % 169 125 +44
NFP 28,06 % 162 178 +16
Ensemble 20,04 % 116 150 -34
LR 6,57 % 38 39 -1
LR-RN 3,96 % 23 17 +6

Ces calculs ont été fait simplement en appliquant le taux de suffrages exprimés au nombre de sièges de l'Assemblée national (577). Bien sûr, ces résultats ne sont donc que des approximations et dépendent des règles qui seraient choisies pour le calcul de l'attribution des sièges (détermination du quotient électoral et choix de la méthode pour répartir les voix restantes).

Avec la répartition à la proportionnelle, le RN aurait donc été la première force politique de l'Assemblée nationale. Cela dit, nous pouvons constater que le scrutin proportionnel permet de mettre en avant la tripartition de la vie politique française fidèlement, sans avoir à passer par un barrage à l'extrême droite entre deux tours.

Ce que je veux dire, c'est que le scrutin proportionnel aurait globalement donné le même résultat que le scrutin majoritaire à deux tours avec un barrage efficace contre l'extrême droite. Si les désistements n'étaient pas autorisés (ou s'ils n'avaient pas eu lieu), nous aurions très probablement un RN clairement victorieux, avec certainement une majorité absolue, car les électeurs non-RN se seraient diluées dans les triangulaires.

Personne n'a gagné

Ces résultats nous montrent donc que l'extrême droite est plus forte que jamais, avec un tiers des suffrages exprimés pour le RN et ses alliés. Ces résultats nous confirment également que le pays est définitivement passé à un système politique tripartite :

  • la gauche unie via le NFP,
  • le centre-droit et la droite via Ensemble et LR et
  • l'extrême droite via le RN et ses alliés.

Quand on regarde bien les résultats et comment fonctionne le système parlementaire, personne n'a vraiment gagné. Pas le RN, pas les macronistes (Ensemble) et pas la gauche non plus. Hors, depuis dimanche soir (7 juillet), les différents cadres du NFP expliquent un peu partout que la gauche a gagné et qu'elle veut appliquer la totalité de son programme.

Le problème, c'est que la situation est toute autre, la gauche ne pourra pas gouverner seule, de la même façon que les macronistes ou l'extrême droite non plus. La gauche ne pourra donc pas appliquer son programme tel qu'il est.

La France n'a pas la culture du compromis et des coalitions de gouvernement

Dans tous les autres pays européens avec un régime parlementaire dans lesquelles les majorités absolues sont rares voire inexistantes, la culture du compromis et la recherche de partenaires pour établir des coalitions de gouvernement est ancrée. Ce qui fait que tout le monde dans ces pays (les politiques, les médias et les citoyen·nes) s'attendent à des compromis qui reflètent plus au moins les rapports de force entre les différents partis.

En France, la synchronisation depuis 2002 entre les élections présidentielles et les élections législatives font que les électeur·ices donnent systématiquement une majorité absolue au président venant tout juste d'être élu (à part pour les élections législatives de 2022). Aussi, la bipartition faisait que, même dans les cas où il y a eu une cohabitation dans la Ve République, le gouvernement avait tout de même une majorité absolue.

Quand on regarde en 2022, Ensemble n'avait certes pas de majorité absolue, mais la coalition macroniste n'en était pas loin du tout (250 sièges, la majorité absolue étant à 289 sièges). Pour les macronistes, il ne fallait donc chercher que quelques voix parmi les autres groupes afin de s'assurer que le gouvernement ne soit pas censuré.

Dans le cas actuel, la situation est complètement différente. Le NFP, arrivé certes en tête, n'a que 182 sièges (hors député·es NFP des outre. Pour donner un ordre d'idée, il faudrait que l'ensemble du NFP et les député·es divers gauche (13 sièges) puisse convaincre l'ensemble des députés du parti Renaissance (le premier parti de la coalition Ensemble avec 102 sièges) afin de ne pas être pas être systématiquement censuré.

Le danger pour la gauche et l'aubaine pour l'extrême droite

La gauche est donc dans une situation très compliquée, qui risque de se retourner contre elle. Le fait que les député·es et cadres du NFP expliquent partout qu'iels ont gagné et qu'iels vont appliquer le programme du NFP tel quel ne fera que décrédibiliser cette même gauche une fois que les électeur·ices se rendront compte que ce ne sera pas possible.

À n'en pas douter, les opposants politiques, le RN en premier, se servira de cette aubaine pour attaquer la gauche en expliquant qu'elle a trahit ses électeur·ices. Ce qui pourrait être redoutable pour la gauche lors des prochaines élections, que ce soit les éventuelles nouvelles élections législatives en 2025 (lorsque le délai entre deux dissolutions de l'Assemblée national sera écoulé) ou les élections présidentielles de 2027. Bien sûr, cela pourrait également permettre au RN de se positionner encore plus comme un parti contre qui tous les autres partis se liguent (via le barrage) et comme étant le « seul parti que l'on a pas essayé ».

La gauche doit particulièrement faire attention à ne pas surestimer son résultat, au risque de perdre la confiance de ses électeurs. Une culture du compromis et de la coalition pourrait être essentielle pour l'avenir politique de la France.

Une solution : réformer nos institutions

Pour ce faire, je pense que revoir complètement le fonctionnement des institutions de la République française est nécessaire. Comme l'explique très bien Clément Viktorovitch dans sa dernière vidéo, il faudrait que la gauche propose et mette la pression sur Emmanuel Macron pour la création d'une assemblée constituante. Cette assemblée aurait pour rôle la rédaction d'une nouvelle constitution, afin de rendre notre démocratie et notre République plus participative et représentative qu'actuellement. Cela pourrait passer par :

  • des pouvoirs amoindris pour le président de la République,
  • un renforcement du caractère protecteur de la constitution, des droits humains et des libertés par le Conseil constitutionnel,
  • la mise en place du suffrage proportionnel complet de l'Assemblée national (ce qui impliquerait la création de coalitions de gouvernement),
  • la mise en place d'un Sénat citoyen, avec des sénateur·ices tiré·es au sort et formé·es au droit, à l'économie, aux sciences politiques, au fonctionnement des institutions, etc. avant d'exercer leur mandat (Clément Viktorovitch propose des sénateur·ices tiré·es au sort pour 6 ans, mais avec 5 ans de mandat, la première année servirait à la formation ; durant cette année de formation, le mandat des sénateur·ices précédant·es se termine)
  • la mise en place de référendums réguliers concernant les réformes majeures

C'est le meilleur moment pour le faire, le Nouveau Front populaire a le pouvoir de pousser vers cette solution maintenant. Il est crucial de donner plus de pouvoir au peuple et faire une véritable révolution démocratique !

Vous pouvez signer et diffuser cette pétition pour demander à Emmanuel Macron de convoquer une assemblée constituante !


  1. Source : Ministère de de l'intérieur via Wikipédia 

  2. Ces résultats d'incluent pas les voix des alliés du Rassemblement national (notamment les candidats LR-RN). 

  3. Le Nouveau Front populaire (NFP) est une coalition des principaux partis français de gauche (La France insoumise, le Parti socialiste, Les Écologistes, le Parti communiste français) et de ses alliés (G·s, PP, GES, GRS, NPA, GE, PG, POI, ND, REV, etc.). Ces résultats n'incluent pas les candidatures dissidentes de ces partis ni les candidat·es du NFP en outre-mer (ces dernier·ères sont classé·es dans la nuance divers gauche par le Ministère de l'intérieur). 

  4. Ensemble pour la République est une coalition autour du parti d'Emmanuel Macron (Renaissance, le Mouvement démocrate, Horizons, Parti radical, UDI). 

  5. Source : Législatives 2024 : pourquoi le RN a-t-il obtenu plus de voix, mais moins de sièges que le NFP ? par Ouest France 


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